Projet ANR
Projet ICE CollapseProjet ANR ICE COLLAPSE
Depuis 1850, la planète s’est réchauffée de +1°. Et les prévisions du GIEC ne sont pas optimistes. A l’heure où cet organisme vient d’évaluer les conséquences d’un réchauffement de +1.5°, c’est plutôt une augmentation de +2° voire +3° à laquelle nous devons nous attendre d’ici la fin du siècle si les émissions de CO2 continuent selon leur rythme actuel. L’une des conséquences les plus spectaculaires et visibles est le retrait progressif de la quasi-totalité des glaciers de montagne et des mers de glace (banquise). Avec pour conséquence l’augmentation du niveau marin. Pendant le dernier siècle, les océans sont montés d’environ 20 cm. Mais les grandes calottes glaciaires continentales ne sont pas épargnées. La fonte de la calotte groenlandaise s’est accélérée entre les deux dernières décennies avec une production d’eau de fonte multipliée par 6. En Antarctique, l’incertitude est plus grande mais la fonte est bien présente. Le GIEC estime l’augmentation du niveau marin entre 20 et 80 cm pour la fin du siècle. Mais il pourrait atteindre 1 m supplémentaire avec une contribution accrue de l’Antarctique. Ce continent est en effet une réserve d’eau considérable. A elle seule, elle représenterait un potentiel d’élévation du niveau des mers de 58 m ! Certes, ce n’est pas demain que ces calottes vont disparaître. Mais il est aujourd’hui important de comprendre comment elles se comportent en période de réchauffement climatique et à quelle vitesse elles sont capables de se déstabiliser. C’est dans ce contexte global que le laboratoire de Géosciences du Mans démarre une étude de 4 ans sur les processus de déstabilisation des calottes en période de fonte.
Entretien avec Edouard Ravier, Maître de Conférences à Le Mans Université, chercheur au LPG-UMR CNRS 6112 (Laboratoire de Planétologie et Géodynamique) et responsable du projet ICE COLLAPSE financé par l’ANR (Agence Nationale pour la Recherche).
Que signifie le terme « ICE COLLAPSE », nom donné au projet ?
E.R. Le terme « Ice Collapse » (effondrement glaciaire) renvoie à l’accélération de la destruction des glaciers lors des périodes de fonte. Pour bien comprendre le fonctionnement d’un glacier de montagne ou d’une calotte glaciaire, il faut avoir en tête que la glace est un matériau qui se déforme et s’écoule très lentement sous l’effet de la gravité. La mer de glace dans les Alpes glisse par exemple à une vitesse de quelques mètres par jour. Lorsque que les températures atmosphériques augmentent, la glace de surface fond, produisant ainsi de l’eau qui va progressivement s’infiltrer dans le glacier pour finalement atteindre sa base. Or, cette eau va jouer un rôle fondamental en lubrifiant la base et accélérer l’écoulement du glacier. Sur les grandes calottes comme celles du Groënland ou de l’Antarctique, on observe des « couloirs » où la glace avance très rapidement : parfois plusieurs centaines de mètres par jours !!. C’est ce que l’on appelle des « ice streams ». Lorsque ces ice streams débouchent en mer, la glace se disloque et produit des icebergs. Si l’on imagine que la fonte de surface s’accélère, c’est tout le processus qui s’emballe car il y a de plus en plus d’eau à la base du glacier, et ce sont des quantités phénoménales de glace et d’eau de fonte qui peuvent ainsi être déversées très rapidement dans l’océan. On aboutit ainsi à un véritable « effondrement » de la calotte capable de déstabiliser à relativement courte échelle de temps des calottes glaciaires entières. C’est donc un processus majeur de la destruction des calottes qui est encore mal connu et peu pris en compte dans les modèles glaciodynamiques et climatiques par exemple.
Extrémité d’un ice stream actuel au Nord-Ouest du Groënland. Les limites de l’ice stream actuel sont marquées par la transition entre une glace fortement crevassée en surface (couloir d’écoulement rapide de la glace) et une glace dont la surface apparaît plus lisse (écoulement de la glace plus lent).
Est-ce un phénomène que l’on observe dès à présent ?
E.R. Depuis quelques années on commence effectivement à observer des signes, notamment sur la partie Ouest de L’Antarctique : des icebergs de plus en plus nombreux et volumineux se détachent, des fractures de plusieurs 10aines de km apparaissent au sein des plateformes de glace.
Pour comprendre ces phénomènes, j’imagine qu’il faut aller regarder ce qui se passe sous les glaciers ? Comment fait-on ?
E.R. Effectivement si l’on veut comprendre les mécanismes à l’origine de ces accélérations, c’est bien sous les calottes qu’il faut aller voir… et ça, c’est très difficile, voire impossible… On va donc regarder dans le passé et y chercher des indices qui nous aideront à mieux comprendre la dynamique de ces phénomènes actuels. Au dernier maximum glaciaire, il y a 20 000 ans environ, il y avait deux grandes calottes dans l’Hémisphère Nord. L’une, appelée calotte glaciaire Eurasienne recouvrant la partie nord de l’Europe (îles britanniques, Scandinavie, Allemagne, Pologne, etc…), de la Russie et la Mer de Barents , l’autre, la calotte glaciaire Laurentide, recouvrant la totalité du Canada et la partie Nord des États-Unis jusqu’au Sud de Chicago. Or, on sait que ces calottes ont subi des retraits très rapides, laissant sur le sol des traces résultantes de leurs déstabilisations produites par l’écoulement de la glace. Ce sont ces traces qui nous intéressent.
Plusieurs missions de terrain sont donc prévues dans le projet Ice Collapse. Où se passent ces missions ? Comment les préparez-vous ?
E.R. En se retirant, la calotte des Laurentides a laissé de nombreuses traces dans la province de l’Alberta au Canada. L’endroit est idéal, car peu habité et les structures y sont probablement très bien préservées. Une première mission s’est déroulée cet été. C’était une mission d’exploration qui consiste à localiser des lieux qui pourraient faire l’objet d’études plus détaillées au cours de prochaines missions. Cette première mission fût préparée en amont grâce à des images satellites que l’on analyse pour repérer les endroits qui semblent les plus intéressants. On cartographie, à très grande échelle les structures d’écoulement visible dans le relief et on essaie d’identifier des spots où ces structures sont par exemple recoupées par des cours d’eau. Lorsqu’une structure est entaillée par une rivière et que les affleurements sont suffisamment propres, on a accès à l’intérieur de la structure, ce qui nous permet de mieux comprendre son lien avec la dynamique glaciaire active durant sa formation. Pendant une mission d’exploration, on parcourt beaucoup de distance en 4*4 (5000 km) afin d’aller voir tous les lieux initialement identifiés. C’est assez intense, les missions sont chères et le temps est compté, généralement 2 à 3 semaines sur le terrain pour couvrir plusieurs centaines de kilomètres carrés. Il est donc vraiment important de bien préparer la mission en amont !
Comment fait-on pour comprendre la dynamique de glaciers qui n’existent plus aujourd’hui? Comment peut-on mesurer leur vitesse de recul passé?
E.R. Les traces laissées sur le sol nous donnent beaucoup d’informations. Il existe une multitude de structures différentes qui sont assez bien référencées dans la littérature. Dans les endroits où des glaciers viennent juste de reculer, il est facile de corréler ces traces avec la dynamique de mouvement de la glace. Cela nous donne des références actuelles. Ensuite, il faut juste retrouver des traces similaires dans des endroits où les glaciers n’existent plus. Nous allons également utiliser des méthodes utilisant des isotopes cosmogéniques pour essayer de dater les phases de recul du glacier pendant sa déstabilisation.
Des isotopes cosmogéniques ?
E.R. En permanence, les éléments de l’atmosphère et de la surface terrestre sont soumis à un rayonnement cosmique (particules de haute énergie, beaucoup de protons en provenance du soleil ou de notre galaxie). Celui-ci interagit avec certains éléments pour donner naissance à de nouveaux nucleïdes du type 3He, 10Be, 14C, 26Al etc… En géomorphologie glaciaire, on va par exemple regarder la quantité de 10Be produit dans le Quartz (SiO2). Plus une roche va être exposée longtemps au rayonnement cosmique, plus elle va contenir de 10Be. En sachant que la majorité du rayonnement cosmique ne pénètre pas à plus de quelques cm dans le sol, l’exposition au rayonnement ne peut se faire que si la roche est directement en surface. On est ainsi capable de mesurer depuis combien de temps une roche se trouve en contact direct avec l’atmosphère. Lorsqu’un glacier recouvre le sol, les roches ne sont pas exposées. A partir du moment où il se retire, les roches sont soumises au rayonnement et le stock de 10Be augmente. On a une sorte de chronomètre du temps d’exposition en surface. En comparant des mesures effectuées sur des échantillons provenant de différents endroits, on peut estimer le timing du recul d’un glacier qui aujourd’hui n’existe plus… Sur le papier, cette méthode est assez simple ; en pratique, il faut faire très attention aux endroits où sont faits les prélèvements et de nombreuses corrections sont nécessaires. Elles tiennent compte de la topographie environnante qui modifie le flux de rayonnement arrivant au sol, de l’enneigement annuel, etc.
Ces mesures isotopiques vont-elles être réalisées au Mans ?
E.R. Non, au Mans, nous sommes plutôt spécialisés actuellement dans la modélisation expérimentale. Nous nous appuyons sur les compétences d’autres partenaires puisque le projet regroupe des collaborations nationales et internationales : l’Université de Sheffield, le British Geological Survey d’Edimbourg, le Geological Survey d’Alberta, le laboratoire de Géographie Physique (UMR-CNRS) de Meudon, le laboratoire Biogéosciences de l’Université de Bourgogne et le LPG de l’Université de Nantes.
La modélisation expérimentale est un autre aspect du projet ? Peut-on en dire un mot ?
E.R. Au Mans nous développons des modèles de laboratoires uniques qui simulent la dynamique de glaciers avec des matériaux dits analogues, c'est-à-dire qui ont des propriétés mécaniques ressemblant aux matériaux que l’on trouve dans la nature (glace, roche…). Nous faisons des sortes de « maquettes » à petite échelles de glaciers qui évoluent et nous mesurons différents types de paramètres physiques (vitesse, pression) et réalisons des modèles 3D de notre environnement sous-glaciaire expérimental qui nous aident à comprendre ce qui se passe dans la nature. Je vous invite à venir voir le déroulement de l’une de ces expériences qui sont aujourd’hui uniques au monde !
RDV est donc pris pour discuter de ce deuxième aspect du projet dans un prochain focus ! Et nous espérons très bientôt voir les premières images de votre première mission en Alberta !